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Pierre Janet

Pierret Janet et ses apports dans le champs de la psychologie et du trauma

Pierre Janet

 

Pierre Janet (1859-1947) était un psychologue et neurologue français reconnu pour ses travaux pionniers dans le domaine de la psychologie clinique et de la psychopathologie.

Philosophe de formation, Pierre Janet a étudié la médecine à l’Université de Paris et a soutenu sa thèse en 1889 dans le cadre de ses études médicales. Sa thèse, « L’Automatisme Psychologique », est issue de ses recherches en psychologie expérimentale.

Il est l’auteur de nombreux articles scientifiques et contributions dans des revues spécialisées, qui ont souvent exploré divers aspects de la psychopathologie, de la psychologie clinique, et de la psychologie expérimentale et a publier les livres suivants :

  • « L’Automatisme Psychologique : Essai de Psychologie Expérimentale sur les Fonctions du Subconscient » (1889)
  • « L’état mental des hystériques » (1892)
  • « Les Obsessions et la Psychasthénie » (1903)
  • « Névroses et Idéaux » (1909)
  • « L’Automatisme Psychologique » (Réédition avec ajout de textes) (1919)
  • « La Psychanalyse » (1923)
  • « Les Problèmes Psychologiques de l’Enfance » (1929)
  • « Psychologie des Grands Tout-Petits » (1935)
  • « La Révélation de l’Inconscient » (1936)

Résumé

Pierre Janet, figure majeure de la psychologie au tournant du XXe siècle, a longtemps été éclipsé par ses contemporains, notamment Sigmund Freud, dont les théories ont dominé le paysage de la psychologie pendant des décennies. Pourtant, les idées de Janet, centrées sur la dissociation, les états du moi, et les mécanismes subconscients, ont jeté des bases essentielles pour de nombreuses approches thérapeutiques modernes. Son travail, longtemps négligé, a progressivement retrouvé sa place dans le champ de la psychologie, notamment grâce aux avancées des neurosciences et à l’intégration des philosophies orientales, qui ont permis de réévaluer et de redécouvrir la profondeur de ses contributions.

Aujourd’hui, les thérapies basées sur la dissociation, telles que l’Internal Family Systems (IFS), le Voice Dialogue, la thérapie des états du moi, et d’autres encore, trouvent leur origine dans les intuitions janétiennes. Janet avait compris bien avant son temps que l’esprit n’était pas un tout homogène, mais une mosaïque de processus et d’états, capables de se fragmenter sous l’effet du stress ou du traumatisme. Ces concepts sont devenus des piliers dans la compréhension et le traitement des troubles mentaux actuels, qu’il s’agisse des traumatismes, des troubles dissociatifs, ou des névroses.

Pourtant, malgré la pertinence et l’efficacité prouvée de ces thérapies, elles restent souvent dans l’ombre des approches plus mainstream comme la psychanalyse freudienne ou les thérapies cognitivo-comportementales (TCC). L’invisibilisation des contributions de Janet dans le discours dominant en psychologie témoigne des biais historiques et institutionnels qui façonnent la reconnaissance scientifique. Néanmoins, son travail est aujourd’hui redécouvert et réhabilité, non seulement pour son apport historique, mais aussi pour sa valeur clinique contemporaine.

Pierre Janet représente un exemple fascinant de la manière dont certaines idées, bien qu’initialement mises de côté, finissent par retrouver leur place grâce à l’évolution des connaissances et des pratiques. Si son nom n’est pas toujours aussi célèbre que celui de Freud, son influence est indéniable et se manifeste dans de nombreuses approches thérapeutiques qui continuent d’aider des milliers de patients à travers le monde. Janet, longtemps oublié, émerge désormais comme un pionnier visionnaire, dont les intuitions continuent de guider et d’inspirer la psychologie moderne.

Parcours de Pierre Janet jusqu’en 1889 et son arrivée à la Pitié Salpêtrière à Paris

Pierre Janet est né le 30 mai 1859 à Paris dans une famille bourgeoise intellectuelle. Très jeune, il montre un vif intérêt pour les questions philosophiques et scientifiques, une passion encouragée par un environnement familial cultivé. Le milieu familial dans lequel grandit Janet est imprégné d’une tradition de rigueur intellectuelle, ce qui va marquer profondément son parcours académique et professionnel. Son père, professeur de mathématiques, et sa mère, d’origine écossaise, jouent un rôle déterminant dans son éducation.

Janet poursuit ses études secondaires au lycée Condorcet, l’un des établissements les plus prestigieux de Paris. Il y développe une forte inclination pour la philosophie et les sciences naturelles, deux domaines qui façonneront son avenir. Après avoir obtenu son baccalauréat, il s’inscrit à la faculté de philosophie de la Sorbonne. C’est durant cette période que Janet rencontre les œuvres de Maine de Biran, un philosophe français qui influencera durablement sa pensée. Biran, avec ses travaux sur la volonté et la psychologie, inspire Janet dans ses propres recherches sur la conscience et les processus psychologiques.

Après ses études à Paris, Janet se rend au Havre, où il commence sa carrière en tant que professeur de philosophie au lycée du Havre. Son séjour au Havre est un moment crucial dans son développement intellectuel et scientifique. C’est là qu’il commence à s’intéresser de manière plus approfondie à la psychologie clinique, en observant et en traitant des cas de patients souffrant de troubles mentaux. C’est aussi au Havre qu’il entame des recherches empiriques sur le somnambulisme et les phénomènes d’automatisme psychologique, des sujets qui deviendront centraux dans ses travaux ultérieurs.

En 1882, Pierre Janet soutient une première thèse de philosophie intitulée De l’angoisse chez les individus. Cette thèse, bien qu’elle soit moins connue, pose les premières bases de sa réflexion sur les états psychiques complexes. Mais son intérêt croissant pour la psychologie le pousse à approfondir ses études dans ce domaine. Ainsi, il entame des études de médecine, qu’il poursuit parallèlement à sa carrière philosophique. En 1889, il soutient une thèse de doctorat en médecine, intitulée L’Automatisme psychologique, sous la direction de Jean-Martin Charcot, une figure centrale de la neurologie et de la psychiatrie à cette époque. Ce travail est fondamental car il introduit la notion d’automatisme psychologique, un concept clé dans la compréhension des troubles mentaux.

L’arrivée de Janet à la Salpêtrière marque un tournant dans sa carrière. Recommandé par Charcot, Janet intègre cet hôpital parisien renommé, où il commence à travailler en étroite collaboration avec d’autres figures de la médecine et de la psychiatrie, dont Charcot lui-même. La Salpêtrière est alors un centre mondial de recherche sur l’hystérie et les troubles neurologiques, offrant à Janet un terrain fertile pour développer ses théories sur la dissociation psychologique et les états de conscience altérés.

Pendant son séjour à la Salpêtrière, Janet mène des recherches cliniques qui renforcent ses théories sur l’hystérie et les névroses. Il y développe ses concepts de dissociation et d’automatisme psychologique, deux idées qui deviendront centrales dans ses travaux ultérieurs. Il observe et analyse des cas de patients souffrant de troubles mentaux, et c’est dans ce cadre qu’il publie plusieurs ouvrages majeurs qui établissent sa réputation internationale en tant que pionnier de la psychologie clinique.

Les influenceurs de Pierre Janet

Sans bien entendu prétendre être exhaustif sur cette question, certaines personnes ont influencé la pensée de Pierre Janet.

Maine de Biran, un philosophe français du début du XIXe siècle, est l’une des figures majeures qui ont influencé Janet. De Biran, avec ses réflexions sur la volonté, la conscience et l’introspection, a posé les bases de la philosophie de la psychologie en France. Ses écrits sur la distinction entre les actes volontaires et involontaires, ainsi que sa théorie de la « force interne » de la volonté, ont eu une influence déterminante sur Janet. Ce dernier adopte et développe ces concepts en les appliquant à la psychologie clinique, en particulier dans ses études sur les automatismes psychologiques, où il explore les actions et pensées automatiques qui échappent au contrôle conscient.

En parallèle de cette influence philosophique, Jean-Martin Charcot joue un rôle central dans l’orientation de Janet vers la psychologie clinique et la médecine. Charcot, alors une autorité mondiale dans l’étude de l’hystérie et des maladies neurologiques, dirige Janet lors de sa thèse de médecine. Charcot est le pionnier de l’utilisation de l’hypnose à des fins thérapeutiques et diagnostiques, une technique qui permet de révéler les mécanismes inconscients chez les patients hystériques. Sous l’influence de Charcot, Janet s’intéresse de plus en plus aux états dissociatifs, au point de faire de la dissociation l’un des axes centraux de ses recherches futures. L’approche de Charcot concernant les liens entre le physique et le psychique se retrouve dans les travaux de Janet, qui s’efforce de comprendre comment des états mentaux complexes peuvent se manifester à travers des symptômes physiques.

Enfin, Théodule Ribot, l’un des fondateurs de la psychologie expérimentale en France, a également exercé une influence notable sur Janet. Ribot, connu pour ses travaux sur la mémoire et les troubles psychologiques, introduit Janet à la psychologie scientifique en l’encourageant à aborder les phénomènes psychiques avec la rigueur de la méthode expérimentale. Ribot défend l’idée que les processus psychologiques peuvent être étudiés de manière objective, en les observant à travers leurs manifestations cliniques, une approche que Janet adoptera tout au long de sa carrière.

Pierre Janet et l’hypnose

Il est essentiel, pour comprendre pleinement l’œuvre de Pierre Janet, de se pencher sur sa pratique de l’hypnose et ses relations complexes avec les courants dominants de son époque, notamment ceux incarnés par Jean-Martin Charcot à la Salpêtrière et l’école de Nancy. Loin de se contenter d’adopter aveuglément les méthodes de ses mentors, Janet fait preuve d’un discernement critique et d’une originalité qui marquent sa pratique clinique.

Jean-Martin Charcot, sous l’égide duquel Janet effectue ses premiers travaux cliniques, est alors une figure emblématique de la neurologie et de la psychiatrie. Charcot a popularisé l’usage de l’hypnose pour diagnostiquer et traiter l’hystérie, la considérant comme un état pathologique révélateur de troubles sous-jacents du système nerveux. Cependant, Janet se montre rapidement réservé quant à certaines des pratiques de Charcot. Ce dernier tend à percevoir l’hypnose principalement comme un outil diagnostique, une manière de démontrer la nature organique des troubles hystériques. Pour Charcot, l’hypnose est avant tout un moyen de provoquer des crises et des états dits « grands hypnotiques », qui confortent sa théorie de l’hystérie comme une maladie neurologique.

Janet, tout en respectant l’autorité de Charcot, développe une perspective différente. Il critique implicitement l’usage parfois spectaculaire et trop réducteur de l’hypnose chez Charcot, qu’il voit comme risquant de réduire la complexité des phénomènes psychologiques à des démonstrations purement cliniques. Pour Janet, l’hypnose n’est pas seulement un outil diagnostique, mais aussi une clé pour comprendre les mécanismes profonds de la dissociation psychologique. Il s’intéresse moins aux manifestations visibles et spectaculaires des états hypnotiques qu’à ce qu’ils révèlent sur les processus inconscients et la fragmentation de la conscience.

C’est dans ce contexte que Janet se tourne avec intérêt vers les pratiques de l’école de Nancy, dirigée par Hippolyte Bernheim et Ambroise-Auguste Liébeault. Contrairement à Charcot, qui insiste sur l’aspect neurologique de l’hystérie, Bernheim et Liébeault perçoivent l’hypnose comme un phénomène psychologique essentiellement lié à la suggestion. L’école de Nancy met l’accent sur la suggestibilité des individus, considérant que l’hypnose peut être induite chez presque tout le monde et qu’elle est surtout le résultat d’une interaction entre le sujet et l’hypnotiseur.

Janet adopte et adapte certains aspects des théories de Nancy. Il reconnaît l’importance de la suggestion dans les phénomènes hypnotiques, mais il va plus loin en l’intégrant dans son propre cadre théorique de la dissociation. Pour Janet, l’hypnose n’est pas simplement un état artificiel induit par la suggestion, mais un état naturel qui révèle les différentes couches et automatismes de la conscience humaine. Il voit dans l’hypnose un moyen de pénétrer les strates cachées de la psyché, où des fragments de conscience peuvent fonctionner indépendamment du moi conscient, ce qu’il appelle « l’automatisme psychologique ».

Parcours de Pierre Janet de la Pitié Salpêtrière  au collège de France

En 1889, Pierre Janet soutient sa thèse de médecine intitulée L’Automatisme psychologique sous la direction de Jean-Martin Charcot à la Salpêtrière. Ce moment marque un tournant décisif dans sa carrière. À travers cette thèse, Janet met en lumière des concepts novateurs sur les automatismes mentaux et la dissociation psychologique, posant ainsi les bases de ce qui deviendra l’une des contributions les plus significatives à la psychologie moderne.

À la Salpêtrière, Janet se trouve au cœur de l’un des centres névralgiques de la neurologie et de la psychiatrie de l’époque. Sous l’influence de Charcot, il approfondit son exploration des états de conscience altérés, des névroses, et des phénomènes hypnotiques. Charcot, reconnu pour ses études sur l’hystérie et son usage pionnier de l’hypnose, confie à Janet des responsabilités croissantes au sein de l’institution. Janet se distingue rapidement par sa capacité à allier observation clinique rigoureuse et réflexion théorique approfondie. Il observe de près les patientes hystériques, mais là où Charcot voit principalement des manifestations de troubles neurologiques, Janet perçoit des signes de dissociation de la conscience, un concept qui deviendra central dans ses travaux.

Au fil des années, Janet gagne en stature. Il continue d’affiner ses idées sur la dissociation et l’automatisme psychologique, tout en développant des méthodes thérapeutiques basées sur l’hypnose et la suggestion. Son approche se démarque de celle de Charcot par son insistance sur la complexité des mécanismes psychologiques. Pour Janet, les symptômes hystériques ne sont pas seulement des phénomènes à expliquer, mais des manifestations d’un esprit fragmenté, où différentes parties de la conscience peuvent opérer indépendamment du contrôle volontaire.

Pendant cette période, Janet commence à publier ses recherches dans des revues scientifiques, et sa réputation dépasse rapidement les frontières de la France. Son travail attire l’attention non seulement des psychiatres et des neurologues, mais aussi des philosophes et des psychologues, qui voient en lui un penseur capable de lier les aspects théoriques et cliniques de la psychologie naissante. Janet devient ainsi un interlocuteur privilégié dans les débats intellectuels de son temps, apportant une perspective nouvelle sur la nature de l’esprit humain.

En 1893, Janet obtient un poste de professeur de psychologie expérimentale au Collège de France, une reconnaissance qui assoit définitivement son statut de leader dans le domaine. Cette chaire, qu’il occupe tout en poursuivant son travail à la Salpêtrière, lui permet de diffuser ses idées auprès d’un public plus large, tout en formant de futurs chercheurs. Il consacre ses cours à l’étude des états de conscience altérés, de la mémoire involontaire, et de l’inconscient, des thèmes qui feront de lui un précurseur de la psychologie clinique.

La mort de Charcot en 1893 marque la fin d’une époque à la Salpêtrière, mais pour Janet, elle ouvre une nouvelle phase de son parcours. Désormais libéré de l’influence directe de son mentor, il poursuit et approfondit ses recherches, tout en consolidant ses théories sur la dissociation et les automatismes psychologiques. Janet se concentre sur les traitements des névroses, continuant à utiliser l’hypnose comme un outil thérapeutique tout en explorant d’autres approches pour restaurer l’unité de la conscience chez ses patients.

Durant cette période, Janet s’affirme également comme un critique subtil de certaines approches plus spectaculaires ou simplistes de l’hypnose et de l’hystérie, marquant ainsi une distance avec les excès de la méthode de charcot. Il privilégie une approche clinique plus nuancée, attentive aux détails et aux spécificités de chaque cas, ce qui fait de lui non seulement un théoricien, mais aussi un praticien respecté.

La mort de Charcot comme vecteur de décroissance de l’image de Janet

La mort de Jean-Martin Charcot en 1893 marque un tournant non seulement pour Pierre Janet, mais aussi pour l’ensemble du champ de la neurologie et de la psychologie en France. Alors que Janet, fort de ses recherches et de sa position au Collège de France, semble destiné à prendre la relève de son illustre mentor, les décennies suivantes vont progressivement voir son influence s’effriter, jusqu’à ce qu’il soit largement éclipsé par la figure montante de Sigmund Freud et par un changement de paradigme dans l’étude de la psyché.

Après la disparition de Charcot, Janet poursuit ses travaux avec une détermination renouvelée. Ses recherches sur la dissociation et les états de conscience altérés continuent de captiver le milieu scientifique, mais l’émergence de la psychanalyse, avec Freud en tête, va bouleverser l’ordre établi. Freud, qui avait initialement reconnu l’influence de Janet dans ses premières œuvres, notamment concernant les concepts de dissociation et d’automatisme, prend progressivement ses distances pour élaborer sa propre théorie. Là où Janet voit dans les névroses le résultat de dissociations psychologiques complexes, Freud y trouve une origine principalement liée à des conflits inconscients de nature sexuelle, théorisant ce qu’il nomme le complexe d’Œdipe.

Freud commence à s’imposer avec sa méthode d’investigation nouvelle, la psychanalyse, qui se différencie nettement de l’approche de Janet. Alors que Janet s’appuie sur l’hypnose et l’observation clinique minutieuse pour accéder aux strates inconscientes de l’esprit, Freud met de plus en plus l’accent sur l’interprétation des rêves et l’association libre. Le recours de Janet à l’hypnose, une technique qui commence à être perçue comme controversée, voire dépassée, dans les cercles académiques, contribue à ternir son image au fur et à mesure que la psychanalyse freudienne gagne en popularité.

L’évolution de la perception de l’hypnose joue un rôle clé dans ce déclin. Dans les années qui suivent la mort de Charcot, l’hypnose perd de son prestige scientifique. Charcot l’avait utilisée comme un outil de diagnostic et d’expérimentation clinique, mais les excès de ses démonstrations spectaculaires avaient déjà suscité des critiques. Avec l’essor des théories freudiennes, l’hypnose est reléguée au second plan, remplacée par les méthodes analytiques qui sont perçues comme plus rigoureuses et moins manipulatrices. Freud lui-même, qui avait brièvement exploré l’hypnose sous l’influence de Charcot, l’abandonne rapidement, estimant qu’elle ne permettait pas d’atteindre la profondeur nécessaire pour résoudre les conflits inconscients.

Ce rejet de l’hypnose par Freud et ses disciples contribue à marginaliser Janet, qui reste attaché à cette technique non seulement comme un outil thérapeutique, mais aussi comme un moyen de révéler les mécanismes profonds de l’esprit. De plus, la psychanalyse freudienne, avec son accent sur la sexualité infantile et ses concepts novateurs comme le surmoi et le transfert, capte l’attention du public et des intellectuels, reléguant les travaux de Janet, plus complexes et moins accessibles, au second plan.

À mesure que Freud étend son influence, d’abord en Europe, puis aux États-Unis, Janet voit son œuvre de plus en plus négligée, voire critiquée, non pas pour son manque de rigueur, mais parce qu’elle semble appartenir à une ère révolue, celle de la psychologie avant la psychanalyse. La psychanalyse se structure en un mouvement puissant, avec ses congrès, ses institutions, et ses réseaux d’influence, tandis que Janet, bien qu’il continue à publier et à enseigner, ne parvient pas à fédérer autour de ses idées de manière aussi efficace.

La combinaison de la montée en puissance de Freud, le discrédit progressif de l’hypnose, et le manque de popularisation de ses propres idées conduit Janet à un relatif oubli. L’histoire retient Freud comme le père de la psychologie moderne, tandis que Janet, malgré ses contributions majeures, est souvent réduit à une figure de précurseur dont l’influence est moins reconnue. Ce n’est que bien plus tard, à la fin du XXe siècle, que les chercheurs redécouvriront son œuvre et reconnaîtront son importance, notamment dans le domaine des troubles dissociatifs, mais son nom reste aujourd’hui encore souvent éclipsé par celui de Freud.

Le retour en grâce de Pierre Janet ou quand le temps donne raison a postériori a ce grand précurseur.

Le retour en grâce de Pierre Janet dans les milieux de la psychologie est un phénomène aussi fascinant qu’inattendu, survenu bien après sa mort, à une époque où les avancées des neurosciences et une meilleure compréhension des mécanismes de l’esprit ont permis de redécouvrir et de réévaluer ses théories. Après avoir été éclipsé pendant des décennies par la psychanalyse freudienne, Janet voit son travail revisité et réhabilité, en partie grâce à des courants de pensée émergents et à la redécouverte de ses idées par des chercheurs influencés par son œuvre.

Les neurosciences jouent un rôle crucial dans ce renouveau. Au cours du XXe siècle, les recherches en neurosciences commencent à dévoiler la complexité de la conscience humaine et de ses dysfonctionnements, rejoignant en certains points les observations cliniques faites par Janet des décennies plus tôt. Les concepts de dissociation, d’automatisme psychologique, et de subconscience, autrefois marginalisés, trouvent un nouvel écho dans les études sur le cerveau et la cognition. Les neuroscientifiques découvrent que l’esprit n’est pas un bloc homogène, mais un ensemble de processus qui peuvent se désynchroniser, rejoignant ainsi les intuitions de Janet sur la fragmentation de la conscience.

Parallèlement, l’Occident commence à s’intéresser de plus près aux philosophies orientales, notamment au Bouddhisme, qui propose une vision très élaborée de la conscience humaine. Le concept bouddhiste des « huit consciences », par exemple, divise l’expérience psychique en différentes strates, allant de la perception sensorielle jusqu’aux mécanismes les plus profonds de l’inconscient, une idée qui résonne avec les théories janétiennes sur les différentes couches de la conscience. Les pratiques bouddhistes, telles que la méditation et l’attention pleine (mindfulness), apportent une nouvelle compréhension de l’esprit comme un phénomène complexe et souvent fragmenté, où des éléments de la conscience peuvent opérer indépendamment, un phénomène que Janet avait observé dans ses études cliniques sur la dissociation.

C’est également grâce aux travaux de ceux qui ont été directement influencés par Janet que son œuvre connaît une renaissance. Des figures majeures de la psychologie, comme Henri Ey ou John H. Jackson, ont puisé dans les travaux de Janet pour développer leurs propres théories sur les troubles mentaux et la structure de la conscience. Plus récemment, des chercheurs en psychologie et en psychiatrie ont redécouvert Janet en explorant des domaines comme le trouble dissociatif de l’identité, le syndrome de stress post-traumatique (SSPT) et d’autres conditions où l’esprit semble se « fractionner » en réponse à des traumatismes, confirmant ainsi la pertinence des observations de Janet.

La psychologie moderne, en intégrant des approches multidisciplinaires, a aussi permis de redonner à Janet une place de choix. La psychologie clinique, la psychotraumatologie, et même la psychothérapie contemporaine ont redécouvert dans les théories de Janet un fondement solide pour comprendre et traiter les pathologies mentales. Des chercheurs comme Onno van der Hart et Bessel van der Kolk, qui travaillent sur le trauma et la dissociation, ont souligné l’importance des travaux de Janet, les reliant directement aux approches thérapeutiques modernes.

Le processus de réhabilitation de Janet est également lié à une critique plus nuancée de Freud. À mesure que les excès et les limites de la psychanalyse freudienne sont remis en question, certains des concepts clés de Janet, comme la dissociation, commencent à être vus non pas comme des idées démodées, mais comme des précurseurs des théories modernes de l’esprit. Le travail de Janet sur l’automatisme psychologique, par exemple, trouve une résonance dans les études contemporaines sur l’inconscient cognitif et les comportements automatiques, qui sont aujourd’hui mieux compris grâce aux progrès des neurosciences.

Les apports concrets de Pierre Janet dans les thérapies modernes

Aujourd’hui, les apports de Pierre Janet à la psychologie et à la psychothérapie sont largement reconnus, même si son nom reste moins célèbre que celui de Freud. Janet a jeté les bases de la compréhension moderne de la dissociation, des états du moi, et des mécanismes subconscients, des concepts qui sont devenus centraux dans plusieurs approches thérapeutiques contemporaines. Pourtant, malgré l’importance de ces contributions, les thérapies qui s’en inspirent restent souvent en marge des pratiques dominantes, et leur visibilité dans le paysage psychothérapeutique est encore limitée.

L’une des contributions les plus notables de Janet est sa théorie de la dissociation, qu’il décrit comme une fragmentation de la conscience, où des aspects de l’expérience mentale peuvent devenir autonomes et isolés du reste de la psyché. Ce concept a été fondamental pour le développement de nombreuses thérapies actuelles. Par exemple, dans l’Internal Family Systems (IFS), on retrouve l’idée que la personnalité est composée de différentes « parties » ou sous-personnalités, qui peuvent se fragmenter et agir de manière indépendante en réponse à des traumatismes. L’approche IFS, en permettant aux patients de dialoguer avec ces parties dissociées, poursuit directement l’héritage janétien.

La thérapie des états du moi (Ego State Therapy) et le Voice Dialogue s’inscrivent également dans cette lignée. Ces méthodes reposent sur l’idée que l’esprit est constitué de multiples états du moi, qui peuvent fonctionner de manière dissociée les uns des autres. Ces états du moi peuvent prendre le contrôle de la conscience dans certaines situations, reflétant ainsi les concepts de Janet sur la dissociation et l’automatisme psychologique. Les praticiens de ces thérapies travaillent à réintégrer ces états dans une personnalité cohérente, un processus qui découle directement des travaux de Janet sur la réunification de la conscience.

La thérapie des schémas, développée par Jeffrey Young, s’inspire également des idées de Janet, notamment en ce qui concerne la manière dont les schémas cognitifs et émotionnels se forment et se maintiennent à travers des mécanismes dissociatifs. Cette thérapie vise à identifier et à modifier ces schémas maladaptatifs, qui peuvent être comparés aux automatismes psychologiques décrits par Janet, qui agissent en dehors de la conscience volontaire.

L’hypnose moderne et l’EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing) s’appuient aussi sur les découvertes de Janet, en particulier dans le traitement des traumatismes. Janet a été l’un des premiers à utiliser l’hypnose pour explorer les couches inconscientes de l’esprit et à traiter les symptômes de dissociation. L’EMDR, bien que développé plus tard, partage cette approche en accédant à des souvenirs traumatiques qui sont souvent dissociés ou refoulés, permettant leur intégration dans la conscience et leur résolution. Janet serait sans doute fasciné de voir comment ses idées sur la dissociation et l’automatisme psychologique ont trouvé un écho dans ces techniques thérapeutiques modernes.

La thérapie sensorimotrice, qui se concentre sur la manière dont les traumatismes sont stockés dans le corps, rejoint également les théories de Janet sur la relation entre le corps et l’esprit. Janet avait compris très tôt que les traumatismes peuvent se manifester par des symptômes physiques en l’absence de troubles organiques, une idée qui est aujourd’hui au cœur de nombreuses approches somatiques.

Cependant, malgré la pertinence et l’efficacité de ces thérapies, elles ne sont pas toujours mises en avant dans le monde de la psychothérapie. Les approches dominantes restent souvent celles qui sont issues de la psychanalyse freudienne ou des thérapies cognitivo-comportementales (TCC), qui bénéficient de plus de visibilité, de reconnaissance académique, et de soutien institutionnel. Les thérapies inspirées par Janet, en dépit de leur succès clinique, sont souvent reléguées à des pratiques alternatives, moins intégrées dans les systèmes de santé publics ou dans les cursus de formation en psychologie.

Cette invisibilisation peut s’expliquer par plusieurs facteurs : le poids de l’histoire, où Freud a pris le dessus dans la diffusion de ses idées, l’aura de scientificité des TCC qui se prêtent mieux aux études quantitatives, et le fait que les thérapies inspirées par Janet nécessitent souvent une formation plus spécialisée et un engagement thérapeutique plus profond, ce qui les rend moins accessibles ou moins facilement standardisables.